Les traducteurs et les interprètes pendant la pandémie
TROISIÈME PARTIE
Traducteur et interprète spécialisé en traduction technique et scientifique, notamment dans le domaine médical, Lionel Fintoni nous offre un témoignage réaliste et au même temps optimiste sur la situation actuelle de ce métier. Il s’agit d’une époque difficile, pendant le premier mois de confinement en mars-avril 2020, Lionel a expérimenté une chute dramatique de son chiffre d’affaires : « j’ai eu moins 95 % du chiffre d’affaires. Le départ a été assez brutal et en plus cela a repris très progressivement. Le dernier trimestre 2020 a été correct, de même que le mois de janvier 2021, mais quand je dis correct, je suis quand même à moins 50 % de mon chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente ».
« j’ai eu moins 95 % du chiffre d’affaires pendant le premier mois de confinement en mars-avril 2020 »
En tant que traducteur médical, Lionel n’a pas non plus remarqué un besoin urgent de ses services : « Je pense que certainement il y a eu beaucoup d’échanges médicaux, scientifiques, techniques éventuellement, entre laboratoires, entre laboratoires et autorités, entre les institutions. Cependant, cela s’est fait dans le cadre des institutions. Je ne vois pas en quoi le traducteur va intervenir si ce n’est peut-être sur les traductions de documents de recherche ou d’études, mais comme tout cela ce sont des documents relativement confidentiels, cela s’est fait en interne ou de manière extrêmement limitée et contrôlée ».
Quant au métier du traducteur médical, Lionel affirme, après 35 ans d’expérience dans ce domaine, que la traduction médicale est une formation à vie : « dans ce métier nous avons une chance extraordinaire c’est que nous sommes toujours à la pointe de l’information, mais cela veut dire que nous apprenons tout le temps, donc nous sommes condamnés à lire, à apprendre, à se documenter, à se renseigner ».
En tant qu’interprète, Lionel affirme que la façon de travailler a subi un changement radical : « Toutes les conférences officielles classiques ont disparu, maintenant nous faisons ce qu’on appelle du semi-présentiel, c’est-à-dire que les intervenants et les interprètes sont généralement regroupés dans une salle et tous les participants sont chez eux ou dans leurs bureaux ». Cette modalité d’interprétation, malgré qu’elle soit la seule option pour l’instant, n’est pas une solution idéale pour Lionel : « les gens s’aperçoivent que c’est pratique, que cela coûte moins cher qu’une cabine de traduction, cela coûte moins cher que déplacer des interprètes, mais cela pose d’autres problèmes. Nous apercevons quand même que l’absence de contact physique joue énormément. Nous voyons très vite les limites de l’exercice notamment dans le dialogue ».
« Toutes les conférences officielles classiques ont disparu, maintenant nous faisons ce qu’on appelle du semi-présentiel »
Lionel travaille également avec d’autres traducteurs et interprètes qu’il recrute que par cooptation : « quand je reçois un cv d’un interprète que je ne connais pas, je vais regarder où cette personne habite et je vais appeler mes contacts pour faire un sondage. Je me méfie beaucoup des cv, notamment des cv des gens qui font tout : quand je reçois un cv de quelqu’un qui parle 18 langues, qui fait tous les domaines, je suis un petit peu méfiant ».
Quand un traducteur n’a pas d’expérience, il conseille toujours d’aller travailler deux ou trois ans à l’étranger et de trouver le domaine qui va l’intéresser. Cependant, actuellement nous nous trouvons avec beaucoup de restrictions en termes de déplacement et cela fait que les jeunes aient de plus en plus de difficultés pour trouver le moyen de pratiquer les langues et acquérir de l’expérience : « très honnêtement, j’ai beaucoup d’empathie et de sympathie, de pitié, pour les gens de votre génération parce que là je reconnais que c’est une période très difficile ».
« très honnêtement, j’ai beaucoup d’empathie et de sympathie, de pitié, pour les gens de votre génération parce que là je reconnais que c’est une période très difficile »
Lionel considère également que les mesures actuelles d’enseignement en ligne pour les étudiants universitaires constituent une accumulation de manques et de handicaps : « il faut un engagement de professeurs, je trouve que les universités ont une attitude beaucoup trop frileuse. Ce serait beaucoup plus intelligent peut-être de décomposer les cours en petit groupes en respectant les distances, je suis certain qu’il y a des solutions, ça ne relève pas que des étudiants ».
Avec cette dernière interview, je termine mon documentaire sur les traducteurs et interprètes pendant la pandémie. Les témoignages d’Agnes, Nathalie et Lionel servent d’exemple pour les jeunes traducteurs et interprètes qui subissent les difficultés de commencer leur activité pendant une époque troublée. Cependant, l’adaptation a toujours fait partie de l’histoire du traducteur, il s’agit d’un métier qui n’arrête pas d’évoluer mais un métier qui survivra car la communication entre langues, avec ou sans masque, restera pour toujours nécessaire.
Interviewé
Lionel Fintoni
http://www.fintonitraduction.fr/
lionel.fintoni@orange.fr
6 traverse de la cortesine
F-13100 Aix-en-Provence
Portable : +33 (0)6 80 88 29 41